25.9.12

En direct des îles


Récemment retraitée, elle a quitté son île de Vancouver la veille et transite par celle de Montréal pour aller rejoindre celle d'Hispaniola où elle s'est acheté une petite maison du côté de la République dominicaine. Elle est déjà en mode vacances et je n'ai pas à la convaincre longtemps d'une petite ballade touristique dans le Vieux avant de retourner à son hôtel aux abords de l'aéroport.

D'emblée, elle me demande si c'est possible d'arrêter quelque part pour qu'elle puisse s'acheter un billet de loterie. Elle ressort du dépanneur tout sourire en me disant qu'elle ignorait qu'on pouvait s'y acheter de la bière! Installée à mes côtés, elle sort d'un sac une grosse Corona et me demande si je lui permets de la boire dans le taxi. Voulant rendre sa ballade agréable, j'accepte et je décapsule sa bouteille en m'aidant de l'embout métallique de ma ceinture de sécurité. On est jamais trop prudent.

Chemin et bière aidant, Isabella va se dévoiler peu à peu et me raconter sa vie. Son divorce, les problèmes vécus avec sa fille adolescente, sa vie rangée à Victoria, sa vieille job de fonctionnaire au ministère du revenu Britano colombien. Elle va me dire de quelle façon elle envisage sa nouvelle vie, de quelle manière elle a envie d'en profiter. Je l'écoute étaler ses rêves futurs sur son île en lui faisant découvrir une partie de la mienne.

Dans des rues que j'emprunte des dizaines de fois par semaine depuis près de 20 ans, Isabella s'émerveille devant l'Église du Bonsecours et devant la basilique Notre-Dame où nous nous arrêtons pour que je puisse la photographier. Elle s'extasie sur les pavés de la rue Saint-Paul et ouvre tout grand les bras pour prendre la pose sur la Place d'Armes. Je m'amuse à jouer au touriste avec elle et je profite joyeusement du moment.

Dans une heure de pointe qui se dissipe lentement, je ramène ensuite mon insulaire vers son hôtel de Dorval. Charmé par sa joie de vivre, je prends mon temps et continue de l'écouter se raconter.  Ravie et guillerette, Isabella y va gaiement et goulument avec sa Corona en me draguant gentiment. Je me prête au jeu en sachant bien que ça n'ira pas plus loin que la fin de la course. 

Soudainement, par un curieux jeu de coïncidences, ses gestes, ses paroles, font apparaître une autre passagère, une autre insulaire à bord du taxi, à bord de mes souvenirs.

Il y a un peu plus de trois ans, je conduisais une autre voyageuse vers l'aéroport. Elle partait également vers une île au soleil, vers une retraite paisible et douce. Le destin en a voulu autrement. On ne croise pas toujours la route de ceux qu'on voudrait.

Je n'ai pas raconté à Isabella l'histoire de Renée qui s'est fait assassiner dans sa maison des îles du sud. Je ne lui ai pas dit à quel point elle lui ressemblait, à quel point elle était également emplie de rêves et de joie de vivre.

À destination, elle m'a demandé mon numéro pour une prochaine fois et mon courriel pour les photos. Je lui ai souhaité longue vie et bon voyage et l'ai regardé quitter vers son hôtel et ses rêves.

La tête ailleurs, j'ai repris l'autoroute vers le centre de mon île pensant à elles.

18.9.12

Limitation des dégâts

« N’inquiétez-vous pas monsieur, elle a un sac. »

Je me renfrogne et même s'il pleut averse, j'ouvre tout grand la fenêtre du côté de la femme penchée entre ses genoux. Derrière moi, ça dégoutte.

L'appel d'air propage dans le taxi une odeur âcre de bile et de tequila.

— Faut l'excuser, elle ne sait pas boire.

— Va chier Christ de sale!

À travers les miasmes de vomi, je sens que ça dégénère.

— Bon, madame sort son petit caractère!

— C'est toé qui me lèves le coeur!

— Tais-toi donc!

— J't'haïs!

— Ben oui c'est ça!

— J'pourrai plus jamais te faire confiance! T'as compris? Plus jamais!

—...

Le trop-plein d'alcool ne fait pas seulement sortir ce qu'on a dans le ventre, il fait parfois sortir ce qu'on a sur le coeur.

À destination j'essuie un petit filet de bave sur la banquette en cuirette.

Sous la pluie, le couple s'éloigne en dodelinant bras dessus bras dessous.

Pas trop de dégâts.

J'pense.