30.8.11

Une autre course

La semaine dernière, je tournais en rond lorsque mon téléphone a sonné.

- Léon ! C’est André !

André un vieux pote. Un individu pour qui l’originalité tient de l’euphémisme. Le genre qu’on a cassé le moule après l’avoir fait. Marginal et bizarre sur les bords, mal engueulé et fort en gueule, il a toujours plein de projets baroques et d’idées saugrenues. Et pas juste pour lui. André c’est le gars qui m’a harcelé pendant des semaines pour que je commence à écrire mes récits sur un blogue.

- Tu connais bien Montréal toi, non? Qu’il me demande l’air de rien.

Et me voilà embarqué dans une « Amazing Race » à travers la ville, une course organisée par la branche montréalaise d’exploration urbaine.

La plupart du temps, ces aventuriers se réjouissent à l’intérieur de lieux abandonnés. Prendre des photos dans des usines désaffectées ou dans des vieux immeubles voués à la destruction ou encore sur des toits dits inaccessibles, voilà ce qui fait le bonheur des ces flibustiers urbains.

Il y avait bien une portion de cette course qui demandait d’enjamber des clôtures, mais pour l’essentiel, il s’agissait de trouver des immeubles liés à des histoires particulières, des lieux publics incongrus ou encore de photographier des endroits aux mêmes emplacements que des photos d’époque. Entres autres questions:


Pour les amateurs de sports : hôtel inspiré du Waldorf Astoria à New York, il fut aussi le lieu de la création, en 1917, de la Ligue Nationale de Hockey. Photo de votre équipe devant cet édifice avec des bâtons de hockey. Double des points si vous portez un masque et des patins à glace.

Cette maison historique, construite en brique importée de Normandie pour l’ingénieur en chef du lieutenant général Montcalm (qui tomba au combat sur les plaines d’Abraham), compte un passage secret datant de l’époque de sa construction et creusé en direction du fleuve afin de permettre au marquis et à sa famille de fuir en cas d’attaque des Iroquois. Photo de votre équipe devant la dite maison. Ou quadruple les points si vous êtes dans le tunnel secret sur la photo.


On connait bien l’édifice de la Sun Life, qui a hébergé le trésor de l’Empire Britannique pendant la Deuxième Guerre mondiale afin de le protéger d’une potentielle capture de Londres par les Allemands et qui eu pendant 30 ans le titre d’édifice le plus haut de tout le Commonwealth. Par contre, ce qu’on ignore souvent, c’est que l’annexe de l’édifice a pourtant été construite près de 15 ans avant son bâtiment principal. C’est d’ailleurs là qu’une jeune compagnie de téléphone, Bell Telephone, y eut ses premiers bureaux. Photo de votre équipe devant l’étrange « Sun Life Annex ». On double les points si vous avez un téléphone à cadran avec vous!

Nous voilà donc à se taper recherche internet et couraillage à travers Montréal pour accumuler le plus de points possible pour faire bonne figure dans cette aventure des plus amusantes. Une occasion également d’en apprendre sur cette ville que j’adore, de visiter des lieux en dehors de ma zone de confort et surtout de me farcir cet impayable André que je remercie encore pour l’invitation.

Au moment où j’écris ces lignes, j’ignore à quel rang nous nous sommes classés, mais en ce qui me concerne, ce n’est pas la destination qui m’importe autant que l’itinéraire qu’on a pris.

Une course passionnante!

Si vous voulez en savoir plus, je vous invite à visiter le forum UER. J’en profite également pour saluer les gens qui ont organisé cette course et bien sûr, ceux qui y ont participé. Au plaisir.

23.8.11

La nuit qui bat

À mon retour de vacances, une belle invitation m’attendait dans ma boite courriel. Elle provenait de l’équipe de la nouvelle émission nocturne de Radio-Canada, La Nuit qui Bat. Animé par Bernard Faucher, l’émission veut faire une place aux gens qui vivent et travaillent la nuit et c’est avec joie que j’ai accepté d’y participer.

Cette nuit, je brise la glace et passerai une heure en compagnie de Bernard Faucher.

Ça se passe vers une heure du matin, alors bonne nuit ! ;-)

Georges Bush

Je viens de déposer une cliente à Verdun et l’ordinateur de bord me signale que je suis le premier dans la zone. Je m’attarde donc dans le secteur et lentement je me dirige vers le poste à côté du métro de l’Église. Sur place se trouvent déjà deux taxis Pontiac-Hemlock et sur le trottoir près d’eux, un homme tenant un boxer en laisse. Il a un aspect un peu douteux et louche vers moi.

- Ça te dérange pas les chiens boss?

Il ne me laisse pas le temps de répondre et me demande combien couterait un aller-retour jusqu’au fin fond de ville LaSalle. Il ajoute qu’il est diabétique, que son frère là-bas a son argent pour payer ses médicaments, qu’il ne se sent pas trop bien, que son chien a fait ses besoins et que je n’aurai pas de trouble avec lui.

Pendant qu’il me vend sa salade, je sors mon livre de rues pour localiser l’adresse du frangin et me faire une idée de l’itinéraire et du prix. Ça me permet également de prendre un peu plus de temps pour jauger le type qui n’a pas l’air des plus commodes.

Je crois à moitié ce qu’il me raconte. Si ça se trouve, il va juste chez son « pusher » chercher sa dose et il s’invente un scénario plus propice pour qu’un chauffeur l’embarque.

Malgré mes doutes, j’accepte de le conduire. Il accepte le prix que je lui propose et grimpe à bord accompagné de son chien qui vient me foutre son museau dans l’oreille.

- Assis ! Georges Bush.

- Euh!? Ton chien s’appelle Georges Bush?

- Mouhain, stun chien qui vient du Texas...

Je ris dans ma barbe de trois jours en me disant que le gars a un drôle de sens de l’humour. Il me demande une cigarette, je lui dis que je ne fume pas. Il me reparle de son diabète et de son frère, un ostie de rat. Il lui mettrait bien sa main dans face, tout comme à son propriétaire qui cherche a le mettre dehors. Il me parle ensuite de son père qui est mort, qu’il a caché 13000 belles piasses sans leur dire à quelle maudite place.

Jusqu’à destination, il va continuer de se lamenter. Je l’écoute me raconter ses récriminations en me disant que ça fera quelque chose de drôle à raconter.

Arrivé devant le triplex de LaSalle, il sort en me laissant son chien. La porte n’est pas sitôt fermée que le boxer se met à geindre. Je lui dis : « fais-toi z’en pas Georges, il va revenir ton maitre », mais ce dernier niaise sur le balcon. Il frappe et sonne, mais la porte ne s’ouvre pas. Il lâche un cri et une lumière s’allume enfin. Le chien glisse sa tête entre mon appui-tête pour sortir la sienne par ma fenêtre entrouverte. Je continue de lui parler doucement tout en observant mon client entrer dans l’appartement. Je vois des voisins curieux observer ce qui se passe dans la rue, je nettoie mes lunettes tout en continuant de jaser avec Georges Bush.

Cinq minutes plus tard, le type est de retour et me rassure en me payant la course. Il me demande d’arrêter dans un dépanneur où il s’achète un paquet de cigarettes, une grosse barre de chocolat et une bouteille de jus d’orange, qu’il va engloutir en deux gorgées.

Une fois reparti pour revenir au point de départ, je me dis que son histoire de taux de sucre n’était pas une invention. Je lui permets de s’allumer une cigarette et ragaillardit il va compléter le pathétique portrait entamé à l’aller.

- J’suis content d’être embarqué avec toé.

- Comment ça?

- Les deux taxis en avant de toé, c’était des crisses de nègres!

- ...

- J’déteste les races. Y’en a trop icitte. Je les passerais toutes.

Je reste silencieux et serre les dents pour ne pas réagir. Il continue de déverser sa haine raciste. Il me parle de ses amis skinheads néo-nazis texans et comment ça se passe dans le sud pour les crisses d’importés.

Je réalise que le pauvre chien n’a pas hérité de son sobriquet par dérision, mais par conviction.

Un moment donné, je cesse de l’écouter et je complète la course comme il se doit.

Je ne suis qu’un chauffeur de taxi.

Je ne choisis pas mon monde.

Je ne peux pas changer le monde.

Mais je sais que quelqu’un, quelque part, a baptisé son chien Obama ou Nelson Mandela...

16.8.11

Notes de passages

Entre autres :

Une jolie jeune femme à la bonne humeur contagieuse qui me parle de son arrière-grand-père qui a conduit un taxi avant que la vapeur ne se soit emparée du cheval. Il était sur la coche.

Ce couple d’hommes, début vingtaine qui profite de la fin de semaine de la fierté gaie pour faire leur « bachelor » party. Je les écoute parler de leur soirée avec bonheur. La noce promet.

Ce black obèse et bagué qui s’en va dans un bar de Notre-Dame-De-Grâce avec Dieu sait quoi à vendre dans ses bourrelets.

Deux mères qui profitent d’une soirée de congé pour descendre dans le bas de la ville rejoindre leurs amies de ville, danser, se faire draguer, boire un coup, décrocher. Sur le chemin de retour vers leurs banlieues huppées, je les écouterai échanger sur leurs petits problèmes de la vie quotidienne.

Quatre « dudes » que j’amène aux danseuses. Blagues grivoises et douteuses et concours de rots. Le portier du club sur Saint-Denis content que je lui apporte de la clientèle me donne une poignée de cartes d’affaires. Big deal.

Sur l’île Sainte-Hélène en direction du casino, un renard immobile dans la lumière de mes phares. Je m’immobilise à mon tour et l’observe quelques secondes avant qu’il retourne dans le boisé. Ça change de la faune habituelle.

Un étudiant thaïlandais qui me parle de Bangkok sur le chemin de l’aéroport. Je chiale contre le trafic et les détours. Il rigole en me disant que ça va probablement lui prendre deux heures de plus quand il quittera l’aérogare de sa ville pour rentrer chez lui. Je relativise. Kop khun kha.

Constater que la sortie de l’autoroute Bonaventure pour l’île des Sœurs est enfin rouverte. Que le chemin Camilien Houde qui traverse le Mont-Royal est complètement ré asphalté. Être presque rassuré que le morceau de ciment ne se soit pas détaché du viaduc sur Papineau, mais qu’il ait été projeté par un crétin sur cette voiture qui passait.

Zieuter avec volupté le passage de la pleine lune au dessus de Montréal et de ses cratères.

10.8.11

Revenir en ville

Après presque un mois de vacances, je ne suis pas malheureux de rallumer mon lanternon et de reprendre mon arpentage urbain. Malgré près de 4000 kilomètres dans les maritimes, ça me dérange pas une miette de me réinstaller derrière le volant pour m’en taper encore plein.

J’ai adoré rouler dans les campagnes et sur les petits chemins en bord de mer. La Cabot Trail au Cap-Breton est sans doute une des plus belles routes au monde. Mais ma place, là où je me retrouve, reste et restera probablement toujours Montréal.

Bien oui c’est tout croche, les infrastructures tombent en ruine, y’a presque autant de cônes oranges qu’il y a d’habitants. Je sais, c’est pas reposant, y’a du bruit, c’est sale, on se pile sur les pieds, on joue du coude, on se fait la baboune.

C’est vrai que Montréal n’est pas aussi grande et belle qu’on voudrait bien nous faire croire. Pourtant, elle a ce petit je ne sais quoi, elle fait « ville d’à côté » qui ne cesse de me séduire.

En fait, ce que j’aime de cette ville c’est qu’elle est mêlée! Que ce soit dans son monde qui vient de partout, dans son architecture hétéroclite, dans sa culture bigarrée, dans ses parfums, dans ses saisons et quoi encore? On ne sait plus où donner de la tête. Ça me fait tourner la mienne...

Pas malheureux du tout de revenir tourner en elle.

1.8.11

Un petit détour avant le retour