21.9.11

L'homme aux yeux bleus

Un autre été qui s’achève.

Le temps passe vite, mais je trouve que les nuits sont pas mal longues ces semaines-ci.

Je n’ai pas toujours envie de venir m’épancher ici sur mes déboires déambulatoires et comme disait je ne sais plus quel grand sage : « Quand on se compare on se console... »

C’est vrai que notre droit de geindre s’étiole quand on regarde ce qui se passe ailleurs sur notre « belle » planète. Même qu’on n’a pas besoin d’aller trop loin.

Je croise ce type depuis des années sur la rue Saint-Denis. Il quête parfois près du boulevard de Maisonneuve, mais plus souvent au coin de Viger. Je donne souvent un peu de monnaie à ces hommes qui font la manche sur ce coin-là, mais pour lui, je plonge un peu plus profond dans le fond de ma poche.

La première fois que je l’ai vu, il ne me semblait pas à sa place. Pas assez sale, pas assez magané, mais quand je lui avais donné un peu de change, j’avais senti toute sa gratitude quand il avait plongé ses grands yeux bleus dans les miens.

Au fil des mois, je l’ai vu devenir un peu plus sale, un peu plus magané. Je continuais de lui donner un peu de monnaie lorsque je le voyais et quand les feux le permettaient, je lui demandais comment ça allait. Ça ne faisait pas de doute dans mon esprit que la drogue faisait pas mal de ravage sur cet individu dont le regard bleu ciel s’obscurcissait rapidement.

J’ai été ensuite un long moment sans le voir. Assez long pour l’oublier, assez long pour presque ne pas le reconnaitre quand je l’ai revu cet été. Maigre à faire peur, le visage osseux, la démarche hésitante, mais toujours le même regard empli de mercis. Quand je lui ai demandé comment il allait, il m’a dit qu’il avait le sida.

On se sent imbécile en continuant sa route après avoir dit, fait attention à toi...

La semaine dernière, je n’avais eu qu’un seul client après deux heures de route et j’étais plein de rage et de déception quand je recroisé ce type au coin de Viger. J’ai été un peu surpris qu’il me reconnaisse. Je l’ai également été quand il m’a demandé comment se passait ma veillée. Quand le feu a passé au vert j’ai laissé passer les véhicules derrière moi et j’ai continué de jaser un peu avec l’homme encore un peu plus maigre, encore un peu plus gris qu’avant.

Je l’ai laissé en lui donnant l’argent de ma seule et unique course de la soirée. Pas grand chose. Il a mis le billet sur son cœur et ses grands yeux bleus ont encore plongé dans les miens. Je lui ai souri sans rien dire et j’ai poursuivi mon chemin. La rage en moins.

7.9.11

Rentrée libre

Ils sont de retour!

Et il fallait les voir en fin de semaine dernière dans les bars de la ville. Pas sitôt rentrés, les voilà sortis! Ah les beaux partys de début de sessions. Ah les initiations, les beuveries et autres débilités associées.

C’est le temps de se mettre une couche supplémentaire de patience lorsqu’on embarque ces imbibés estudiantins. De la patience et des petits sacs « au-cas-ou ».

Malgré certains débordements, je suis heureux de les voir revenir.

Il faut se balader autour des campus pour constater l’effervescence, l’animation qui y règne.

Ils arrivent remplis d’attentes, de projets et de rêves. Ils arrivent emplis d’une énergie communicative qui se propage, qui se partage avec les autres citadins.

Ils viennent de partout en province, de partout au pays, de partout à travers le monde. Ils ont choisi Montréal pour venir étudier, pour venir y passer les années les plus intenses de leurs vies. Certains sont de passage. D’autres choisiront d’y installer leurs pénates pour quelque temps ou pour longtemps.

Je le sais, j’étais l’un d’eux il y a quelques septembres...

Bonne rentrée!

6.9.11

Fin de journée

1.9.11

Pourboire et pour manger

Je reçois un appel pour une adresse où l’on va régulièrement. Une boite de publicité. Tout comme nous, ceux qui y travaillent ont des horaires souvent interminables et ce n’est pas rare d’aller y chercher un client tard en soirée.

Lorsque j’arrive, un homme m’attend avec une boite de carton dans les bras. J’ouvre le coffre et sors du taxi pour l’aider, mais il me dit qu’il va garder son paquet avec lui. Je referme le coffre et retourne dans le véhicule dans lequel l’homme s’est déjà installé.

Dès que je m’assois, une odeur désagréable atteint mes narines. Je me dis que mon passager vient de se taper une sacrée journée de travail et bien que je sache qu’il a sa dose avec la seule envie de rentrer chez lui prendre une douche, j’entame la conversation.

On discute de son métier de caméraman sur divers plateaux de tournage, des longues heures, des contraintes et quoi encore. L’homme n’en demandait pas tant pour pouvoir laisser sortir le trop-plein de frustrations accumulées pendant sa semaine, il est mûr pour ses lamentations.

Je l’écoute patiemment en faisant mon bout de chemin et à quelques coins de rue de chez lui, il me demande si j’aime le fromage.

- Le fromage?

Il s’avère que l’odeur qui flotte dans le taxi provient de la boite remplie de fromages. Les restes de la campagne de publicité de la journée. Mon client les a rescapé d’une irrévocable mise aux ordures.

C’est bien une première en 19 ans de taxi qu’on me paie une course en fromages. J’ai déjà eu droit aux paiements en «nature», en marchandises volées, en drogues diverses, mais en fromage!?

Y’a un début pour tout j’imagine...

Ça me rappelle cette autre course. Une famille de Parisiens installés ici depuis quelque temps. On était partis du fin fond de la Pointe St-Charles pour se rendre à NDG. J’avais pris des raccourcis pour éviter les feux et prendre Décarie. On s’était rendu en moins de deux, une course impeccable. Je me rappelle le montant exact, le compteur affichait 14.85$

La dame me donne 15 dollars et me dit de garder la monnaie...

Dépité et un peu insulté, je lui dis:

- Vous savez madame, ici contrairement à chez vous, le service n’est pas compris.

- Mais ce n’est pas obligatoire! Répliqua la femme condescendante.

Frustré, je pars en trombe, mais ma colère tombe rapidement lorsqu’une cliente lève le bras à mon intention quelques coins plus loin.

Une fois assise, ma passagère me dit, qu’on a oublié quelque chose sur la banquette et elle me tend un sac dans lequel se trouve un beau gros pain au levain.

Je venais de trouver mon pourboire...