28.4.10

Temps flous

13.4.10

Rétroviseur

Je regarde l'homme dans mon rétroviseur. Il a dans la face, la fatigue d'un long hiver.

Son regard désillusionné en dit long.

Une histoire d'amour qui s'achève.

Je n'ai pas besoin de l'entendre pour ressentir sa tristesse. Il tourne en rond dans sa tête comme je le fais dans les rues de la ville.

Il ressasse les bons moments, s'y attarde rêveur mais rapidement, l'amertume remonte à la surface.

Il est mêlé de mélancolie.

Silencieux et songeur, je roule avec lui un long moment.

Puis je m'arrête, pour faire monter un client.

7.4.10

Folie passagère

Je vois la femme sortir du bar et se faufiler entre les piétons et les voitures. Sachant qu'elle va lever le bras, je ralentis et stoppe le taxi à sa hauteur. Elle monte et sans me saluer, me dit de la conduire sur la Rive-Sud par le pont Champlain. Je lui demande si elle veut que je prenne l'autoroute Ville-Marie pour que ça aille plus vite, mais fermement, elle m'intime de prendre René-Lévesque. Je ne m'obstine pas, après tout c'est elle qui paye. Après quelques minutes de silence, je lui demande pour briser la glace si sa soirée a été bonne. Le ton frigorifique de son : « très bonne merci!» m'indique que ce ne sera pas nécessaire de pousser plus loin la conversation. Ça m'est égal, je monte le son de la musique et me dirige rapidement de l'autre côté du fleuve.

Après avoir franchi le pont, elle me dit de prendre la première sortie, je hoche la tête et roule jusqu'au prochain embranchement. Comme elle ne rajoute rien, je continue tout droit et ma passagère prend quelques instants avant de me dire qu'il aurait fallu prendre à droite. Elle s'excuse vaguement et m'indique de prendre le boulevard Rome pour aller reprendre Taschereau vers l'est. Encore là, je trouve que ça fait un sacré détour, mais ne dis toujours rien. C'est alors que ma cliente me lance :

— Mes amies me trouvent trop maigre.

— ...

À part quelques incitations routières, la femme n'a pas desserré les lèvres depuis le début de la course et la voilà subitement qui commence à me parler de sa vie privée.

— On va aller au Snack-Bar sur Taschereau, faut que je mange de la junk, je suis définitivement trop maigre.

— Euh pas de problème madame

— Et vous est-ce que vous me trouvez trop maigre? Je pèse 98 livres.

— ...

Je l'ai à peine vue lorsqu'elle est montée à bord et pour tout dire, je me fous pas mal de savoir si son poids est ou n'est pas proportionnel à sa taille.

— Vous ne dites rien? Vous aussi vous me trouvez trop maigre non?

Réfléchissant vite, je lui réponds qu'il ne faut pas trop se fier à ce que pensent les autres et que l'important, c'est d'être bien dans sa peau.

J'imagine que la femme réfléchit à ce que je viens de dire, car elle retombe muette quelques instants. En fait, elle pensait à:

— Vous prenez la carte de crédit, j'espère?

— Non madame, seulement du comptant.

— Pardon? Mais pourquoi vous ne me l'avez pas dit dès le départ! Dit-elle, outrée.

— Pourquoi vous ne me l'avez pas demandé lorsque vous êtes embarqué?

— Mais c'est à vous de me le dire! Réponds la femme en me criant après.

Après son histoire de poids, je me demande si elle est saoule ou folle et décide de ne pas rétorquer sur le même ton. Mais elle continue agressive :

— Vous saurez monsieur que je suis avocate de nature! De formation je veux dire! Et que là, je ne suis pas de bonne humeur!

Intérieurement, je rigole à la nature du lapsus de ma passagère et d'une manière calme et ferme je lui dis :

— Madame, je n'ai pas à subir votre agressivité. Je fais ma job du mieux que je peux et je n'ai pas à dire à chacun de mes passagers que je ne prends pas la carte de crédit. Y'a sûrement un guichet automatique pas loin où l'on peut s'arrêter? Non?

C'est en maugréant qu'elle me conduit vers un centre d'achat où elle retire quelques billets. J'ai tout le loisir d'observer la maigreur de la femme ce qui ne l'empêche pas d'être jolie, même fâchée. De retour dans le taxi, elle semble plus relaxe et a toujours en tête de traverser le boulevard pour aller se chercher quelques hot-dogs. Après quelques minutes d'attente, elle revient et sans préambule me dit que son chum l'a quitté il y a deux jours.

Je songe qu'avec son sale caractère ce n’est rien de bien surprenant. Je songe surtout que ça explique l'état d'esprit de la femme qui semble pas mal mêlée. Conciliant, je lui dis que c'est dommage et je continue de la faire parler jusqu'à ce qu'on arrive devant son adresse. Sur cette fin de parcours, entre ses sanglots et ses confidences, j'ai pu découvrir la vraie nature de cette femme blessée.

Je l'ai laissée avec son mal et ses hot-dogs en lui disant de ne pas trop s'en faire, qu'elle était jolie et qu'elle se trouverait quelqu'un avant longtemps.

Souriante, elle m'a payé. Contente.