30.8.08

Vitesse de la lumière

Libellés :

26.8.08

Arriver en ville

C'est sa première journée à Montréal. Elle est arrivé ce matin en provenance de Vancouver pour venir faire ses études à McGill. Elle a déposé ses deux grandes valises contenant l'essentiel de ses choses dans la petite chambre de la résidence, tout en haut de la rue Université et a commencé à aménager le petit espace qu'elle partagera avec une autre étudiante qui arrivera bien assez vite. De sa fenêtre, elle regarde la ville et le fleuve qui coule au loin. Pour l'instant, elle ne pense plus à sa famille ni aux amis laissés derrière. Elle a tout juste vingt ans et déjà, elle entame une toute nouvelle vie.

Lentement, elle marche dans le centre-ville. Tous ses sens sont en éveil. Elle écoute les gens qui parlent toutes sortes de langues autour des restaurants d'où émanent des odeurs qui la font saliver. Déjà, elle note mentalement des endroits où elle reviendra faire du magasinage. Elle s'attarde un moment au carré Dominion et observe un excentrique mendiant nourrir des pigeons. Plus loin, un couple d'amoureux se bécotent sur un banc public. Rêveuse, elle poursuit son chemin. Elle se dirige vers le sud où se trouve un magasin Cosco. Son père lui a laissé une carte et sur Google Map, ça ne lui semblait pas aussi loin. Ce n'est pas très grave, le temps est bon et les gens sont souriants. Derrière, la ville se découpe devant le Mont-Royal. Elle adore. Elle marche et marche encore en laissant errer ses pensées.

Au retour, le chauffeur de taxi est sympathique. Entre deux coups de klaxon et de volant, il s'intéresse à ce qu'elle lui raconte. Son anglais est un peu drôle, mais ça lui fait du bien de se confier à cet homme qui a le regard brillant dans le rétroviseur. On voit qu'il aime ce qu'il fait et qu'il aime sa ville. Tout en haut de la rue Université, elle sort du taxi avec le sentiment et la conviction qu'elle aussi sera heureuse dans cette ville.

20.8.08

Kilométrage au conteur

Je reçois un appel pour la rue Turgeon. Une réservation pour 6 heures, une madame Ludmila m'y attend. M'y rendant je suis surpris de découvrir que l'adresse qu'on m'a donnée correspond à une toute petite maison en retrait de l'avenue prise en étau entre deux énormes triplex. J'ai beau travailler dans ce secteur depuis plus d'une quinzaine d'années, c'est la première fois que je remarque cette petite maison, un vestige qui doit très certainement dater de plus de cent ans. Je tente d'imaginer ce que la vie pouvait être à cette époque dans ces lieux quand à six heures pile, la porte de la petite maison s'ouvre et une petite femme avec une pile de linge dans les bras me demande de patienter encore quelques minutes. D'habitude, ça m'exaspère d'attendre trop longtemps devant une adresse surtout que dans ce cas-ci on a réservé pour une heure précise, mais bon, il fait beau et il me reste un fond de bon café.

En attendant la petite dame devant sa petite maison, je repense à un client régulier que j'avais sur cette rue il y a une dizaine d'années. Monsieur King, un Jamaïcain qui ne portait pas seulement la coiffure de Bob Marley, mais aussi l'odeur d'herbe typique aux rastafaris. Il était « dealer» jusqu'au bout des ongles et pas une seule fois, ne serait-ce pour le plaisir de le faire, il ne m'a pas négocié le prix d'une course. Malgré son « métier », cet homme était tout à fait affable. Toujours avenant, plein de conversation et même s'il était chiche sur le compteur, ça lui arrivait de me laisser un peu de sa marchandise que j'appréciais encore à l'époque. Une nuit, je l'avais embarqué dans un piètre état. Il venait de se prendre un coup de couteau dans une jambe. Les risques du métier. Je l'avais conduit à l'hôpital général. Malgré sa blessure, il m'avait fait la conversation jusque devant l'entrée de l'urgence. Il avait laissé un peu de sang sur le plancher du taxi et ce fut la dernière fois que je le vis.

Derrière moi, un véhicule klaxonne pour je ne sais quelle raison. La petite femme me lance de la lucarne de sa petite maison qu'elle arrive, qu'elle arrive. Je lui dis que ce n'est pas moi qui ai klaxonné, mais en même temps si ça peut l'activer un peu. Je me dis que j'attendrais probablement quand même sur le poste, mais bon, je commence à m'impatienter.

Deux minutes plus tard, elle sort enfin. Je démarre la voiture et elle s'en approche en se confondant en excuses avec un accent russe tellement charmant que je perds toutes mes envies de lui faire le coup du chauffeur impatient. Après qu'elle m'ait demandé de l'amener sur Saint-Viateur dans le quartier Mile-End, je m'informe sur sa maison. Elle a malheureusement peu de chose à m'en dire puisqu'ils y sont depuis très peu de temps elle et son fiancé. Dommage, j'aurais aimé en savoir plus, mais comme la conversation est sur sa lancée elle me dit qu'elle y était pour faire une surprise à son homme en lui faisant sa lessive, son ménage et son souper. Et tout ça en deux heures me lance-t-elle toute fière! Je lui dis que c'est beau l'amour. Elle se contente de sourire. Un sourire rêveur que je reconnais bien puisque je porte le même ces jours-ci.

La circulation pour se rendre à destination est assez intense. Il y a encore des travaux en haut de la côte Atwater et je n'ai pas le choix de me joindre aux fans de Céline qui tentent de se trouver une place pour se stationner autour du Centre Bell. Plus au nord, une fête dans la petite Italie fait en sorte que le trafic de Saint-Laurent est détourné sur l'avenue du Parc où la voie réservée n'est respectée de personne. Ça me donne la chance de connaître un peu plus ma passagère. Une femme tout à fait fascinante qui me parle de sa Leningrad natale et de ses moult pérégrinations avant d'aboutir dans une petite maison de rue Turgeon.

Le temps d'une course, elle m'amène dans son Moscou, son Berlin, son Paris, son New York...

Un voyage à Montréal à travers son monde.

Ça fait beaucoup de kilométrage au conteur...

16.8.08

Rayons réverbérés

Libellés :

14.8.08

Le camp et le comment

Hier on m'a sorti du taxi. On m'a sorti de la ville. Je me suis ramassé à Sainte-Adèle PQ où effectivement le ciel est beaucoup plus haut qu'ailleurs. J'ai été invité à donner une petite causerie sur le monde des blogues et sur le passage de mes mots de l'écran au papier. Tout ça dans le cadre d'un camp de lecture regroupant professeurs, techniciens en documentations et autres intervenants du joyeux monde de l'éducation. Une expérience vraiment enrichissante.

Je tiens à remercier madame Marie-France Laberge de m'avoir invité à y participer. Ça fait du bien de temps en temps de sortir de la ville et de respirer à fond les poumons! Un bon camp à tous les participants et encore merci pour l'accueil.

13.8.08

Un taxi la vie...

Dans la même voie, par une autre voix.

12.8.08

Attendre des voies

Tranquille cette nuit. Encore. J'attends sur le poste en lisant distraitement « À cause de la Nuit » un vieux Ellroy. Se confondent les bruits de la rue, le jazz, le répartiteur et mes petites voix intérieures qui me demandent encore et toujours ce que je fous là. Qu'est-ce que je fous là à attendre? À attendre un appel ou un passager pour continuer de tourner en rond. À attendre pour pouvoir m'en aller. À attendre pour pouvoir revenir attendre.

Je les entends bien ces petites voix qui me disent d'arrêter d'attendre. Qui me disent de m'en aller pour de bon. Qui me disent que j'ai assez tourné. Qui me disent de partir pour plus loin. Qui me disent qu'il serait temps que je cesse de m'étourdir comme un papillon de nuit qui tourne autour de cette ville illumination. Qui me disent que les grands mots seraient de grands remèdes.

Je les entends bien ces voix qui me disent de changer de voie.

Et ces petites voix s'estompent quand j'entends le répartiteur appeler mon poste. Je reprends la route et mes avenues pour oublier ces voix de contournement.

Elles ne perdent rien pour attendre.

6.8.08

Vie d'ange

Descendant la rue Saint-Denis, je « course » avec un autre chauffeur depuis l'avenue du Mont-Royal. Il me passe, je le repasse. Avec la circulation de l'heure de pointe, on ne peut pas faire trop de vitesse. Ça ressemble plus à une course à obstacles. Une plus ou moins saine compétition pour être devant l'autre au cas où un bras se lèverait. En bas de Sherbrooke quand ça devient sens unique, on roule côte à côte protégeant chacun notre côté de la rue. Profitant d'un véhicule parqué en double, je passe devant et me rabats dans sa voie, car un groupe attend un peu plus loin près de De Maisonneuve. Alors que je ralentis pour m'assurer qu'il n'y a pas de clients potentiels, l'autre chauffeur me re-dépasse en me frôlant le miroir et en faisant gronder son moteur. J'ai juste le temps de passer sur la jaune et me remets à sa poursuite. C'est tellement tranquille sur la route, faut bien se divertir comme on peut. J'arrive presque à sa hauteur quand il braque et vient me couper. Il est frustré et je décide de ne pas en rajouter. Je le laisse continuer tout droit vers le Vieux-Montréal et je tourne à droite sur René Lévesque quand j'aperçois cette femme à l'intersection de Sanguinet.

Suite à l'orage, un immense lac s'est formé sur le coin et la femme ne fait rien pour le contourner. Elle en a jusqu'aux chevilles. Je m'approche le plus lentement possible pour ne pas faire de vagues et quand je m'arrête au feu, elle sort de sa flaque et de sa torpeur pour s'approcher du taxi. Ça fait longtemps que la beauté a abandonné cette femme. Tout dans son visage et dans son corps exprime la toxicomanie. Elle a le regard aussi délavé que les vêtements qu'elle porte. Elle tend une main en ma direction. Dans un premier temps, je crois qu'elle me demande un peu d'argent, mais elle ouvre la main découvrant une liasse de 20 $

— J'ai de l'argent pour vous payer me dit elle d'une voix pâteuse et désarticulée.

Je sais qu'elle me montre l'argent, car elle a dû se faire refuser par quelques confrères. Dans l'état dans lequel elle se trouve, ça ne me surprend pas. Je lui dis d'embarquer, elle ne se fait pas prier.

Pendant qu'elle monte, je l'observe. Elle a des bandages aux poignets... Dans une main, elle tient toujours sa liasse et dans l'autre se trouve un crucifix. Pas de ceux qu'on s'accroche dans le cou, mais un en bois vernis qu'on accroche au mur. C'est clair que cette femme est loin d'être aux anges. Dès qu'elle s'assoit, elle m'abreuve de remerciements et lance un vingt dollars sur le siège à côté de moi. Elle se met ensuite à déblatérer confusément contre l'hôpital Saint-Luc qui n'a pas voulu la garder. C'est pour le moins confus, elle me parle et se parle toute seule. Il semble avoir plus d'une voix dans sa tête et je tente de ne pas y mêler la mienne en me taisant le plus possible. Elle tente de s'accrocher à la réalité en continuant de me remercier, mais je vois bien dans son regard qu'elle n'est pas tout à fait là. Dans sa logorrhée délirante, je l'entends dire qu'elle va aller se « finir » chez elle... C'est d'une tristesse qui me dépasse.

Un peu plus loin, à l'intersection de Metcalfe se trouve stationnée une dizaine de motos. Ma passagère qui cause toujours toute seule dit que ça lui rappelle son ancien chum Mom Boucher! Pendant un petit moment, je pense qu'elle est complètement mythomaniaque, puis l'écoutant, je sens, je sais qu'elle ne raconte pas n'importe quoi. Qu'elle a vraiment été l'amie de coeur de l'ancien chef des Hell's Angels! Je lui demande s'il est toujours en prison.

— Oui! Pis yé ben mieux d'y rester, l'écoeurant! Me répond-elle avant de reprendre son soliloque incohérent.

Pour alléger l'atmosphère, je lui demande alors si le motard était bon au lit. Elle éclate alors de rire. Un rire de force. Un rire de camisole de force. Un rire qui aurait pu être une longue complainte. Un rire chargé de mauvais souvenirs. Un rire qui cessa sec.

Avant qu'elle reprenne le dialogue avec ses démons intérieurs, quelques anges passèrent.

À destination, elle n'a pas voulu que je lui rende sa monnaie. Tout ce que j'ai pu lui offrir, c'est un sourire et une poignée de main. Elle a repris son crucifix et m'a remercié une dernière fois avant de sortir du taxi. Je l'ai regardé tanguer jusqu'à son immeuble. Même après quelques jours, le souvenir de cette passagère reste vif. Je peux juste extrapoler sur ce qu'a été le parcours de cette femme. Je peux juste imaginer ce qu'elle a pu subir pour en arriver à cet état de déchéance et de déréliction.

C'est triste quand la vie nous dépasse.

3.8.08

Transports...